La première fut, à mon sens, la plus intéressante. D’ailleurs pour que mon propos se termine par le meilleur, je vais commencer par vous parler de la deuxième partie. A la question centrale qui était posée de nous éclairer sur ce que pouvait devenir notre monde dans les dix ans à venir, les trois intervenants présents, à savoir Serge Latouche, Susan George et Bernard Maris, ont tous répondus par quelque chose que j’ai interprété comme des soupirs désabusés révélant une incapacité à nous donner autre chose que du « ça va péter, probablement, peut-être, on ne sait pas quand, ce qui est sûr c’est que ça va de plus en plus mal ». L’intervention de Serge Latouche fut un désastre. Mélangeant le passé et le présent, juxtaposant l’empire romain et notre époque, Néron-Belusconi, César-Obama, et Sarkozy à je ne sais plus quel autre empereur romain, on avait peine à se retrouver dans ce discours où l’on apprenait que l’empire romain ne s’est effondré qu’en 1917 (si ma mémoire est bonne) et que l’empire de Charlemagne lui s’est bel et bien effondré. Bref un charivari dont je n’ai rien pu tirer de significatif. L’intervention de Susan George m’a paru tout aussi décevante. Catastrophisme sans issue et sans grand intérêt, pétri d’a priori et de jugements de valeur. Bernard Maris fut plus consistant dans ses propos puisqu’il tenta de prédire les tendances lourdes des prochaines années en se mettant dans le contexte de l’année 2000. Mieux que ces deux prédécesseurs mais pas franchement convaincant. Yves Cochet espérait des intervenants capables d’audaces intellectuelles, c’est raté.
Yves Cochet |
Jean-Marc Jancovici |
Et l’orateur suivant, Claude Bourguignon, ne fera qu’enfoncer le clou. Au début du 20ème siècle, la quantité de vers de terre était de l’ordre de 200 tonnes à l’hectare, elle n’est plus aujourd’hui que de 100 kg. Depuis plus de vingt ans qu’il les analyse dans toutes les régions du monde, Claude Bourguignon ne cesse de constater la constante et inexorable dégradation des sols. Partout où l’agriculture moderne mécanisée et intensive a remplacé les modèles agricoles traditionnels, les sols meurent, s’érodent, grossissent les rivières qui deviennent boueuses. 15 millions d’hectares sont ainsi détruits par an. 11% de désert au début du néolithique, 30 % aujourd’hui couvrent la surface du globe.
Alors où va le monde ? Les réponses à cette question ne sont pas venues des orateurs qui se sont contentés, en quelque sorte, de faire un état des lieux plutôt préoccupant. Elles se sont subrepticement introduites dans les débats au travers des questions du public. Premier constat, aucune de ces questions n’a porté sur la décroissance. Après avoir obtenu un succès d’estime dans les rangs écologistes, ce thème semble désormais laissé sur la touche (;-). Deuxième constat, l’absence d’un quelconque désarroi dans l’assistance mais au contraire une volonté de faire face, j’oserai même dire, d’en profiter. Oui, de profiter des chamboulements annoncés pour envisager l’inenvisageable et réveiller quelques utopies.
Ainsi, à la vision atavique d’un être humain dominateur et esclave de ses désirs présentée par Yves Paccalet et relayée par quelques autres conférenciers, une femme s’est insurgée, dénonçant ce qu’elle considère comme une conception très masculine qui n’est en rien indépassable. Et Yves Cochet d’appuyer ce propos en énumérant les différentes cosmologies décrites par Philippe Descola dans son livre « Par delà nature et culture » : La première, le naturalisme, sépare l’humanité du reste du monde et la place au dessus de tout, c’est l’ontologie qui caractérise nos sociétés. La seconde, l’analogisme, explique le monde par d’ésotériques croyances. La troisième, l’animisme, donne une âme et des sentiments à tout ce qui existe. La dernière, le totémisme, crée une filiation entre soi et un animal, un lieu ou un végétal. Par ce détour inattendu, Yves Cochet nous rappelle que non, notre modèle de civilisation n’est pas universel et que oui, d’autres sont possibles qui sont aussi valables et peut-être même préférables car mieux adaptés au monde qui vient.
Un autre participant a présenté cette nouvelle initiative qui "buzz" sur internet : les territoires en transition qui se proposent d’anticiper au niveau local et citoyen, ce que les pouvoirs publics refusent de voir, les conséquences du pic pétrolier. Pour rendre socialement acceptable la perte prévisible de pouvoir d’achat, la solidarité de proximité et la solidarité familiale sont plusieurs fois évoquées, voire souhaités.
Claude Bourguignon |
A ce flot de question Claude Bourguignon a répondu. Oui on peut restaurer des sols abîmés. Du simple paillage pour les sols affaiblis, au bois raméal fragmenté pour les sols très malades, il existe toute une panoplie de techniques, généralement facile à mettre en œuvre et qui peuvent se décliner différemment selon les latitudes. Alors pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre, lui rétorque-t-on ? Parce qu’elles sont jugées non rentables répond Claude Bourguignon qui enchaîne en affirmant que l’on peut obtenir des rendements au mètre carré bien supérieurs à ceux de l’agriculture intensive, par exemple en associant plusieurs cultures complémentaires. Seulement, ce sont des modes de cultures qu’on ne peut pas facilement mécaniser, qui donc souvent exigent davantage de main d’œuvre lors de la récolte. Oui, il est possible de nourrir la planète avec une agriculture qui respecte les sols, c’est l’inverse qui n’est pas possible ! L’agriculture intensive n’a jamais pu et ne pourra jamais nourrir la planète. Quand au nombre d’agriculteurs qui serait nécessaire pour assurer de manière pérenne et durable la sécurité alimentaire d’un pays comme la France, il faudrait qu’il augmente d’au moins un million, c'est-à-dire pratiquement quintupler par rapport à ce qu’il est aujourd’hui.
Dommage que le temps imparti à ce colloque n’ait pas permis d’aborder le thème de la santé qui est fortement corrélé avec celui de l’agriculture. Il n’aurait pas été inutile de rappeler quelques vérités sur l’explosion des allergies et des maladies chroniques dont certains scientifiques pensent qu’elles sont liées à la présence de résidus de produits phytosanitaires dans les aliments ; sur l’espérance de vie dont on nous promet qu’elle va continuer d’augmenter, mais dont on oublie de préciser que cela n’est possible que dans un contexte d’abondance d’énergie et de pétrole et à condition d’y consacrer des moyens de plus en plus importants ; sur les mauvaises habitudes alimentaires, notamment la nocivité de la cuisson révélée par le programme HEATOX ; etc. Et pour faire le lien avec l’intervention de Claude Bourguignon, il eut été pertinent de rappeler qu’une agriculture qui respecte les sols est d’abord et avant tout une agriculture qui produit les meilleurs aliments qui soient, les plus nutritifs et les plus nécessaire à notre santé.
Quoiqu’il en soit, la direction est donnée. Dans l’assistance la détermination est palpable. Certes des grenouilles censées nous gouverner continueront de croasser sur la croassance mais la relève est là, prête à l’action. Quarante ans durant, les faits ont confirmé les prospectives du club de Rome, les lanceurs d’alerte ont fait leur travail, la lente maturation des esprits s’est opérée, des expérimentations ont été faites, des savoir-faire acquis. Aujourd’hui le temps est venu de concrétiser l’avènement d’un monde nouveau engendré par la conscience collective de milliers d’anonymes qui ont compris que leur santé et l’avenir de leurs enfants dépendent de la santé de la planète et qui, envers et contre tout, agissent en conséquence. Ainsi va le monde.
L’alimentation ou la troisième médecine de Jean Seignalet
Médecines et Alimentation du futur de Philippe Desbrosses et Nathalie Calmé
L’Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l’Europe (IRABE)
L’espérance de vie : un alibi déplacé
L’espérance de vie en baisse
Les bienfaits de l’alimentation crue
Territoires en transition
Bois Raméal Fragmenté
Intelligence verte
Programme HEATOX
Claude Bourguignon sur Wikipédia