mercredi 29 mars 2017

Les fruits nous ont-ils donné un cerveau plus gros ?

Les singes et les humains ont cette particularité que nous ne retrouvons pas chez les autres espèces animales : ils ont un cerveau volumineux et performant. Depuis longtemps les scientifiques s’interrogent sur cette spécificité. Qu’est-ce qui a pu conduire à une telle augmentation au cours de l’évolution ? Jusqu’à présent, certains l’attribuaient au fait de vivre en groupe, d’autres, comme Pascal Pick, à la consommation de viande. Une publication de la revue scientifique Nature Ecologie & Evolution en date du 27 mars 2017, vient bouleverser ces hypothèses et propose une explication inattendue : la consommation de fruits.

En effet, dans cette étude, l’anthropologue Alex Decasien et ses collègues de l'Université de New York ont analysé le régime alimentaire de plus de 140 espèces de primates non humains. En tenant compte de divers facteurs tels que la taille du corps, la position dans l’échelle de l’évolution, les habitudes sociales, etc., l’équipe a pu mettre en évidence une taille du cerveau supérieure de 25% chez les espèces qui consomment le plus de fruits.

On le sait, le cerveau est l’organe qui consomme le plus d’énergie. Alors qu’il ne représente que 2% du poids de notre corps, il absorbe 25% de notre énergie. Or les fruits sont les ressources les plus énergétiques disponibles dans la nature. Ils assurent aussi un apport nettement plus important en nutriments que les tiges et les feuilles. Ils sont en revanche saisonniers donc moins disponibles, moins prévisibles dans le temps et dans l’espace. En milieu sauvage, les primates doivent parfois se déplacer sur de longues distances pour se les procurer. Par ailleurs, l’accès à ces ressources met parfois en jeu des tâches complexes comme, par exemple, celles de choisir des pierres adaptées pour casser des noyaux ou des noix sans écraser ce qu’elles contiennent. Il faut faire preuve de perspicacité pour trouver ces ressources et les exploiter correctement. Autant d’activités qui interagissent avec le néocortex et participent au développement du cerveau.

Mais pour qu’une telle évolution ait pu s’amorcer, il a fallu des circonstances particulières, car tous les animaux n’ont pas pris le même chemin évolutif. Il a fallu que les lointains ancêtres des primates aient eu une appétence pour le sucré. Une telle appétence n’a rien d’universel. Elle n’existe pas chez les carnivores qui ne ressentent pas le goût sucré. C’est sans doute cette disposition particulière alliée à la pression écologique qui a façonné au cours de plusieurs centaines de millénaires, non seulement le cerveau mais aussi un système digestif adapté à la consommation des fruits. S’ils sont aujourd’hui reconnus comme d’excellents aliments c’est précisément parce que cette adaptation a été optimisée au maximum. Nous nous sommes constitués en symbiose avec eux.

Cette étude suggère que les fruits ont dû jouer un rôle primordial dans notre humanisation, reléguant sans doute loin derrière celui de la consommation de viande, intervenue plus tardivement et éliminant définitivement celui de la cuisson longtemps mis au premier plan. Il n’est pas inutile de rappeler que celle-ci s’est soldée par l’apparition des maladies et des guerres. Cela suggère que cette cuisson qui a permis aux céréales de détrôner les fruits, apporte des sucres qui ne sont pas aussi bien adaptés à notre physiologie. Elle a aussi eu pour effet de réduire drastiquement la diversité des ressources alimentaires. Aujourd’hui plus de la moitié de l’alimentation humaine à l’échelle mondiale repose sur 3 céréales : le blé, le riz et le maïs. C’est ainsi que notre planète s’est couverte de ces déserts de biodiversité que sont les immenses monocultures céréalières.


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