jeudi 25 avril 2013

Manger cru est-il devenu médiatique ?

J’ai été contacté par Cuisine TV, une chaîne de télévision du groupe Canal+, pour un reportage sur le cru. Ne rêvons pas, il ne s’agit pas d’un reportage sur l’alimentation crue mais plutôt sur l’effet de mode du moment dans le petit monde de la restauration chic parisienne. Mon interlocuteur au téléphone me l’a confirmé, le cru est à la mode cette année.

J’apprends ainsi qu’il y a des restaurants crus à Paris et je suis invité à me rendre à l’un d’entre eux pour une interview. Le lendemain, en arrivant devant ledit restaurant et dans l’attente de l’équipe de tournage, je consulte la carte. J’y lis des choses bizarres comme « Choux fleur braisé » ou « Tartare d’agneaux au foie gras » et me demande si je suis à la bonne adresse. L’arrivée de la journaliste accompagnée de son cadreur dissipe mes doutes. Commence alors des échanges informels sur l’organisation de l’interview qui doit se dérouler à table au cours d’un déjeuner. On me tend la carte. Sa lecture me rend perplexe. J’ai bien du mal à y trouver quelque chose qui ressemble à une salade ou à des crudités. Je vois un « Bouradini et tomates à l’ancienne ». La serveuse m’apprend que le « Bouradini », c’est du fromage de bufflonne. La journaliste et son cameraman commandent eux-aussi et je réalise alors en voyant le contenu de nos assiettes et à leurs réactions quand je leur explique mon alimentation à quel point les gens ne comprennent rien au cru. C’est juste un concept virtuel à la mode, un peu comme celui de « cloud computing » pour les non informaticiens. Chacun se l’approprie à sa manière. En l’occurrence pour les personnes auxquelles j’ai eu à faire, cela évoque une cuisine plus naturelle que naturelle, plus écolo qu’écolo, plus saine que saine. Que la notion de « cru » soit aujourd’hui interprétée comme le summum de ce qui est naturel et sain est plutôt une bonne nouvelle. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 80-90 l’opinion publique, même celle des élites, penchait nettement dans une direction opposée. Cela montre que les mentalités évoluent, peut-être sous la pression des progrès scientifiques, peut-être aussi à cause des scandales sanitaires. En effet, les progrès réalisés dans la compréhension des maladies ont plus souvent abouti à démontrer la nocivité des aliments transformés qu’à la mise au point de nouveaux médicaments. C’est le cas, par exemple, des AGE, ces composés chimiques issus des réactions de Maillard que l’on croyait inoffensifs. La recherche sur le diabète a débusqué leur action délétère sur l’organisme. Quand aux scandales sanitaires, celui de la vache folle et des farines animales a fait prendre conscience de certaines réalités nutritionnelles occultées. D’autre part des études de cohorte comme SUVIMAX ont révélé l’importance primordiale du cru pour un bon équilibre alimentaire. Du coup le discours officiel s’est infléchi mais plutôt que d’encourager à manger cru et de faire de la pédagogie sur les moyens d’y parvenir, on s’est borné à encourager à la consommation de « fruit et légumes » en omettant toute référence au cru. Cette pirouette autorise une large interprétation : fruits, compotes et confitures sont opportunément mis sur un pied d’égalité, tout comme les légumes en crudité, en conserve, bouillis, voire braisés. C’est sur ce flou entretenu par le discours officiel que prospère toutes sortes d’initiatives troublantes comme ce restaurant où je me suis rendu. Un nom évocateur : « MACRAW », contraction possible de macrobiotique et du terme anglais pour désigner le cru, un chef qui tient sa crédibilité (et ses compétences) d’avoir travaillé avec des étoilés comme Alain Ducasse et Joël Robuchon, il n’en faut pas plus pour revendiquer le cru comme étant sa spécialité, quand bien même il n’y a pas davantage d’aliments crus dans ses préparations que dans celles des autres restaurants. Simplement un peu plus de légumes et de fruits. Et cela suffit à soutenir des allégations santé. On peut ainsi lire ceci sur le site web d’Alain Ducasse : « En tant qu’éditeur de cuisine nous souhaitons vous aider à magnifier les fruits et légumes, à équilibrer vos repas et à cuisiner simplement, tous les jours, des recettes bonnes pour la santé. » C’est un peu comme prétendre qu’une cigarette extra-light est bonne pour la santé. Moins nocive, peut-être, « bonne pour la santé » est tout à fait exagéré. Finalement l'émission n'a jamais été diffusée et le restaurant MACRAW a mis la clé sous la porte. Il n’en reste plus aujourd’hui que son site web .

Restons positifs, la prise de conscience des méfaits de la cuisson des aliments progresse même s'il y a encore du chemin à parcourir.