jeudi 23 décembre 2010

Où va le monde ? Est-on cuits ou peut-on encore y croire ?

J’ai assisté au colloque « Où va le monde ! » qui s’est tenu dans la salle Victor Hugo de l’assemblée Nationale le 10 décembre 2010 à l’initiative du député Yves Cochet. Limité à une après-midi, le programme était simple : une allocution d’ouverture d’Yves Cochet, et deux « tables rondes », la première intitulée « écologie et monde », la seconde « économie et monde ».

La première fut, à mon sens, la plus intéressante. D’ailleurs pour que mon propos se termine par le meilleur, je vais commencer par vous parler de la deuxième partie. A la question centrale qui était posée de nous éclairer sur ce que pouvait devenir notre monde dans les dix ans à venir, les trois intervenants présents, à savoir Serge Latouche, Susan George et Bernard Maris, ont tous répondus par quelque chose que j’ai interprété comme des soupirs désabusés révélant une incapacité à nous donner autre chose que du « ça va péter, probablement, peut-être, on ne sait pas quand, ce qui est sûr c’est que ça va de plus en plus mal ». L’intervention de Serge Latouche fut un désastre. Mélangeant le passé et le présent, juxtaposant l’empire romain et notre époque, Néron-Belusconi, César-Obama, et Sarkozy à je ne sais plus quel autre empereur romain, on avait peine à se retrouver dans ce discours où l’on apprenait que l’empire romain ne s’est effondré qu’en 1917 (si ma mémoire est bonne) et que l’empire de Charlemagne lui s’est bel et bien effondré. Bref un charivari dont je n’ai rien pu tirer de significatif. L’intervention de Susan George m’a paru tout aussi décevante. Catastrophisme sans issue et sans grand intérêt, pétri d’a priori et de jugements de valeur. Bernard Maris fut plus consistant dans ses propos puisqu’il tenta de prédire les tendances lourdes des prochaines années en se mettant dans le contexte de l’année 2000. Mieux que ces deux prédécesseurs mais pas franchement convaincant. Yves Cochet espérait des intervenants capables d’audaces intellectuelles, c’est raté.

Yves Cochet
Heureusement, ce qui s’était dit avant avait été d’un niveau nettement au dessus. En effet, dès l’entame, Yves Cochet, avec sa voix de stentor qui embrase l’assistance, a dénoncé les orientations budgétaires du gouvernement qui prévoit pour les quatre prochaines années une croissance de l’ordre de 2% par an. Des prévisions déconnectées de la réalité tant par l’ampleur des contrecoups de la crise d’octobre 2008 que par le contexte de déplétion de la production pétrolière et de tensions sur les ressources naturelles, notamment les matières premières dont certaines commencent à se raréfier. Il juge donc sévèrement l’autisme du gouvernement, enfermé dans les schémas économiques des trente glorieuses et ignorant ou feignant d’ignorer qu’ils sont caducs.
Jean-Marc Jancovici
Puis Isabelle Autissier a pris la parole pour nous dresser un tableau de nos sociétés modernes en « quatre soucis, deux vrais problèmes et un atout », les quatre soucis sont le climat qui déraille, la biodiversité qui s’étiole, les ressources qui s’épuisent, la pollution qui s’étale, les deux vrais problèmes sont celui de l’échelle de temps qui n’est pas la même pour la nature que pour les humains et celui de l’incapacité à imaginer les conséquences de nos actes et l’atout, la matière grise humaine d’autant plus abondante que l’espèce humaine pullule. Mais, me suis-je interrogé, est-ce vraiment un atout que cette matière grise si elle n’a pas plus d’imagination qu’une mouche qui se cogne contre une vitre ? Je n’ai guère eu le loisir de méditer sur cette contradiction, que déjà Yves Paccalet nous entraînait sur les chemins obscurs des pulsions humaines : la reproduction, la domination et le territoire pour finalement aboutir à cette conclusion : l’espèce humaine est malade de ses désirs. Avec Jean-Marc Jancovici, le propos est soudainement devenu saillant. Power-point à l’appui Jean-Marc nous a asséné des réalités qui claquent comme des coups de fouet. D’un coté les stocks de ressources qui se séparent en deux catégories : les renouvelables à l’échelle de temps humaine et les non renouvelables. De l’autre, les humains avec leur tête et leurs bras qui produisent, produisent, produisent, tant et si bien que non seulement les stocks de ressources non renouvelables s’épuisent, mais les renouvelables sont elles aussi drastiquement réduites à cause des diverses dégradations de l’environnement : pollutions, épuisement des sols, perte de biodiversité, etc. Une image projetée sur grand écran qui fait ressortir quelques évidences : C’est l’énergie qui permet l’extraction à grande échelle des ressources et le PIB n’est autre que le prix donné à la transformation de ces ressources. Deux constats simples qui expliquent la corrélation entre l’évolution de la consommation d’énergie et le PIB. Pas de ressources, pas d’économie. Pas d’énergie, pas d’économie. Or les deux viennent à manquer.
Et l’orateur suivant, Claude Bourguignon, ne fera qu’enfoncer le clou. Au début du 20ème siècle, la quantité de vers de terre était de l’ordre de 200 tonnes à l’hectare, elle n’est plus aujourd’hui que de 100 kg. Depuis plus de vingt ans qu’il les analyse dans toutes les régions du monde, Claude Bourguignon ne cesse de constater la constante et inexorable dégradation des sols. Partout où l’agriculture moderne mécanisée et intensive a remplacé les modèles agricoles traditionnels, les sols meurent, s’érodent, grossissent les rivières qui deviennent boueuses. 15 millions d’hectares sont ainsi détruits par an. 11% de désert au début du néolithique, 30 % aujourd’hui couvrent la surface du globe.

Alors où va le monde ? Les réponses à cette question ne sont pas venues des orateurs qui se sont contentés, en quelque sorte, de faire un état des lieux plutôt préoccupant. Elles se sont subrepticement introduites dans les débats au travers des questions du public. Premier constat, aucune de ces questions n’a porté sur la décroissance. Après avoir obtenu un succès d’estime dans les rangs écologistes, ce thème semble désormais laissé sur la touche (;-). Deuxième constat, l’absence d’un quelconque désarroi dans l’assistance mais au contraire une volonté de faire face, j’oserai même dire, d’en profiter. Oui, de profiter des chamboulements annoncés pour envisager l’inenvisageable et réveiller quelques utopies.
Ainsi, à la vision atavique d’un être humain dominateur et esclave de ses désirs présentée par Yves Paccalet et relayée par quelques autres conférenciers, une femme s’est insurgée, dénonçant ce qu’elle considère comme une conception très masculine qui n’est en rien indépassable. Et Yves Cochet d’appuyer ce propos en énumérant les différentes cosmologies décrites par Philippe Descola dans son livre « Par delà nature et culture » : La première, le naturalisme, sépare l’humanité du reste du monde et la place au dessus de tout, c’est l’ontologie qui caractérise nos sociétés. La seconde, l’analogisme, explique le monde par d’ésotériques croyances. La troisième, l’animisme, donne une âme et des sentiments à tout ce qui existe. La dernière, le totémisme, crée une filiation entre soi et un animal, un lieu ou un végétal. Par ce détour inattendu, Yves Cochet nous rappelle que non, notre modèle de civilisation n’est pas universel et que oui, d’autres sont possibles qui sont aussi valables et peut-être même préférables car mieux adaptés au monde qui vient.
Un autre participant a présenté cette nouvelle initiative qui "buzz" sur internet : les territoires en transition qui se proposent d’anticiper au niveau local et citoyen, ce que les pouvoirs publics refusent de voir, les conséquences du pic pétrolier. Pour rendre socialement acceptable la perte prévisible de pouvoir d’achat, la solidarité de proximité et la solidarité familiale sont plusieurs fois évoquées, voire souhaités.

Claude Bourguignon
A l’issue de la première table ronde les questions du public ont majoritairement porté sur l’agriculture. Sans doute convaincus par les arguments imparables de Jean-Marc Jancovici, le public s’enquière du futur de notre alimentation. Claude Bourguignon fut donc pressé de questions précises. Peut-on restaurer des sols abîmés ? Combien d’agriculteurs supplémentaires faudrait-il pour assurer l’alimentation de la population française avec une agriculture qui respecte les sols ? L’agriculture biologique peut-elle nourrir la planète ?
A ce flot de question Claude Bourguignon a répondu. Oui on peut restaurer des sols abîmés. Du simple paillage pour les sols affaiblis, au bois raméal fragmenté pour les sols très malades, il existe toute une panoplie de techniques, généralement facile à mettre en œuvre et qui peuvent se décliner différemment selon les latitudes. Alors pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre, lui rétorque-t-on ? Parce qu’elles sont jugées non rentables répond Claude Bourguignon qui enchaîne en affirmant que l’on peut obtenir des rendements au mètre carré bien supérieurs à ceux de l’agriculture intensive, par exemple en associant plusieurs cultures complémentaires. Seulement, ce sont des modes de cultures qu’on ne peut pas facilement mécaniser, qui donc souvent exigent davantage de main d’œuvre lors de la récolte. Oui, il est possible de nourrir la planète avec une agriculture qui respecte les sols, c’est l’inverse qui n’est pas possible ! L’agriculture intensive n’a jamais pu et ne pourra jamais nourrir la planète. Quand au nombre d’agriculteurs qui serait nécessaire pour assurer de manière pérenne et durable la sécurité alimentaire d’un pays comme la France, il faudrait qu’il augmente d’au moins un million, c'est-à-dire pratiquement quintupler par rapport à ce qu’il est aujourd’hui.

Dommage que le temps imparti à ce colloque n’ait pas permis d’aborder le thème de la santé qui est fortement corrélé avec celui de l’agriculture. Il n’aurait pas été inutile de rappeler quelques vérités sur l’explosion des allergies et des maladies chroniques dont certains scientifiques pensent qu’elles sont liées à la présence de résidus de produits phytosanitaires dans les aliments ; sur l’espérance de vie dont on nous promet qu’elle va continuer d’augmenter, mais dont on oublie de préciser que cela n’est possible que dans un contexte d’abondance d’énergie et de pétrole et à condition d’y consacrer des moyens de plus en plus importants ; sur les mauvaises habitudes alimentaires, notamment la nocivité de la cuisson révélée par le programme HEATOX ; etc. Et pour faire le lien avec l’intervention de Claude Bourguignon, il eut été pertinent de rappeler qu’une agriculture qui respecte les sols est d’abord et avant tout une agriculture qui produit les meilleurs aliments qui soient, les plus nutritifs et les plus nécessaire à notre santé.

Quoiqu’il en soit, la direction est donnée. Dans l’assistance la détermination est palpable. Certes des grenouilles censées nous gouverner continueront de croasser sur la croassance mais la relève est là, prête à l’action. Quarante ans durant, les faits ont confirmé les prospectives du club de Rome, les lanceurs d’alerte ont fait leur travail, la lente maturation des esprits s’est opérée, des expérimentations ont été faites, des savoir-faire acquis. Aujourd’hui le temps est venu de concrétiser l’avènement d’un monde nouveau engendré par la conscience collective de milliers d’anonymes qui ont compris que leur santé et l’avenir de leurs enfants dépendent de la santé de la planète et qui, envers et contre tout, agissent en conséquence. Ainsi va le monde.

L’alimentation ou la troisième médecine de Jean Seignalet


Médecines et Alimentation du futur de Philippe Desbrosses et Nathalie Calmé

L’Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l’Europe (IRABE)

L’espérance de vie : un alibi déplacé

L’espérance de vie en baisse

Les bienfaits de l’alimentation crue

Territoires en transition

Bois Raméal Fragmenté

Intelligence verte

Programme HEATOX

Claude Bourguignon sur Wikipédia