lundi 29 février 2016

Espérance de vie : Vivons-nous plus longtemps ?

Le dernier bilan démographique publié par l’INSEE le 19 janvier a fait sensation et déclenché une avalanche de réactions dans les médias. Pour la première fois depuis la fin des années 60, l’espérance de vie des français a diminué, non pas seulement stagné mais reculé. Un évènement ! Depuis quatre décennies la courbe ne cessait de croitre avec une régularité si saisissante que l’on avait coutume de la résumer par l’adage : « chaque année nous gagnons un trimestre de vie ». Or cette année 2015, c’est un trimestre de vie qui a été perdu. L’évènement suscite de nombreux commentaires et diverses interprétations. Il y a d’abord ceux qui font dans la récupération politique. Pour Jean-Luc Mélanchon, c’est la faute à l’austérité, pour Marine Le Pen, c’est celle du gouvernement, les écologistes dénoncent la pollution. Des explications qui font réagir. Un commentateur de Médiapart signe un article caustique qui vilipende « les pipoteurs de la démographie », dénonçant ceux qui, pour reprendre ses mots, « vont en profiter pour claironner sur le thème « on vous l’avait bien dit » en mettant en avant non pas les causes identifiées par l’INSEE, mais leur dada à eux. ». Plus crédibles parce que ce sont des paroles autorisées, il y a ceux qui minimisent. Ce sont les spécialistes invités sur les plateaux des grandes chaînes de radio et de télévision qui nous assurent qu’il s’agit d’une baisse conjoncturelle qui s’explique par les épisodes meurtriers de canicule et de grippe de l’année 2015. Tous prévoient une correction naturelle en 2016 et s’attendent à une reprise de la progression dans les années à venir même si celle-ci devrait être moins forte. Bel optimisme ? Voire !

Il y a tout juste 4 ans, j’écrivais sur ce blog un article intitulé « Espérance de vie : Ce que cache les chiffres » dans lequel j’expliquais pourquoi la courbe jusqu’alors rassurante de l’espérance de vie masquait une réalité tout autre. Pour comprendre, un point d’explication s’impose. En principe, pour calculer l’espérance de vie d’une génération donnée, il faut que tous ses membres soient décédés. Ce n’est qu’à cette condition que l’on obtient un résultat représentatif de cette génération. Alors que signifie cette courbe d’espérance de vie qui part des années 60 jusqu’à nos jours ? Elle est établie sur la base de générations fictives construites à partir des données annuelles. Ainsi le calcul de l’espérance de vie d’une année x correspond à ce qui serait advenue d’une génération dont tous les membres seraient nés l’année x et aurait vécu toutes les années de leur vie en l’an x. L’espérance de vie calculée ainsi n’a aucune valeur prédictive de ce qu’il adviendra des générations à venir. Elle ne fait que restituer une certaine réalité de l’année en cours. Elle est d’ailleurs sensible aux facteurs conjoncturels. D’où ce paradoxe : si une année la mortalité des personnes en fin vie augmente, l’espérance de vie des bébés nés cette année-là diminue. L’argument conjoncturel avancé par les spécialistes des plateaux télé est donc tout à fait justifié. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des tendances de fond préoccupantes.

Il y a d’abord ce nouvel indicateur : « l’espérance de vie sans invalidité ». Calculé de manière similaire, il prend en considération non pas l’âge du décès réel mais celui du « décès social », l’âge à compter duquel l’invalidité précède la mort. Or la courbe de cet indicateur qui a longtemps progressée comme celle de l’espérance de vie s’est infléchi depuis quelques années. Ce ne sont donc plus des trimestres de vie que nous gagnions ces dernières années mais des trimestres d’hospitalisation. Il y a aussi le fait que de plus en plus de pathologies lourdes se déclarent de plus en plus tôt. C’est le cas par exemple du diabète. Ces tendances donnent à penser que l’état de santé de la population se dégrade. Grâce à l’assistance médicale plutôt performante dont nous bénéficions tous, l’incidence de cette dégradation ne s’est pas manifesté sur la courbe de l’espérance de vie. D’une certaine manière cela veut dire que notre système de soin nous maintient en vie artificiellement. Pour se rendre compte de l’état de santé de la population, il faudrait des indicateurs qui masquent l’effet des progrès thérapeutiques. Par exemple, on pourrait imaginer une mesure de l’espérance de vie sans assistance médicale. Elle consisterait à prendre pour âge de fin de vie, l’âge de la première intervention médicale ayant permis d’éviter l’issue fatale. On peut aussi imaginer un calcul de l’espérance de vie en bonne santé. Il s’agirait dans ce cas de prendre en compte l’âge de survenue d’une affection de longue durée en plus de l’invalidité et du décès. Les statisticiens de l’INED auraient sans doute d’autres idées pour mettre en évidence ce qu’on pourrait appeler « l’espérance de vie naturelle ». L’évolution de ce type d’indicateurs sur les quatre dernières décennies serait sans doute assez différente de celle de l’espérance de vie telle qu’on la connaît. Elle aurait le mérite de lever les incertitudes sur l’état de santé réel de nos concitoyens et de mettre en évidence le nombre d’années de vie gagnées grâce à la médecine. Certes on pourra se réjouir de ces années de vie gagnées, mais il est aussi probable que ces indicateurs révèlent une évolution à la baisse bien plus ancienne que celle de l’espérance de vie sans invalidité.

Dans notre culture occidentale, la maladie est vue comme le fait d’une cause tangible sur laquelle il est possible d’agir. C’est notre réponse moderne au fatalisme qui prévalait dans les siècles passés et que nous ne supportons plus. Ainsi notre vision de la santé se cantonne à une lutte acharnée contre ce fatalisme, par la recherche de ces causes qu’un traitement éradiquera. Cette stratégie guerrière est en fait une guerre contre la nature, contre les microbes, les virus, les allergènes, les tumeurs, les mélanomes, etc. : toutes ces expressions naturelles dont on oublie de comprendre dans quelles circonstances et pourquoi elles se manifestent et deviennent malignes. Nous n’ignorons pas qu’une alimentation inappropriée, l’exposition à la pollution et quelques autres facteurs sont la cause première de ces manifestations naturelles. Mais la médecine ou plus exactement l’ensemble de notre système de santé, ne s’occupe pas de cela. Son rôle est de soigner. C’est la raison pour laquelle nous ne devrions pas parler de « système de santé », « de profession de santé », « de ministre de la santé », mais de « système de soins », de « profession de soins », de « ministre des soins ». S’il fallait mettre en place un vrai « ministère de la santé », il devrait s’occuper de la production alimentaire, de l’agriculture, de l’industrie chimique. Un vrai « système de santé » devrait en tout premier lieu garantir sinon une production alimentaire saine, du moins une information complète et sérieuse sur les produits mis sur le marché en procédant à des évaluations indépendantes. Cela devrait concerner non seulement les produits alimentaires mais aussi ceux qui interviennent dans la chaîne de production et de distribution tels que les produits phytosanitaires, les adjuvants chimiques, etc. Son rôle le plus important serait de promouvoir et structurer une agriculture de qualité axée sur la production maraichère et fruitière, une agro-écologie débarrassée des produits chimiques, qui restaure les sols au lieu de les appauvrir et qui soit capable de donner des fruits et des légumes nutritifs. En fait, les vrais acteurs de santé sont ceux qui, à contre-courant des politiques agricoles et industrielles, ont, ces quatre dernières décennies, consacré leur énergie et leur intelligence à cela : respecter la terre, les plantes et les animaux qui y vivent. Nul doute qu’un tel ministère en viendrait rapidement à décréter une priorité absolue à l’alimentation crue.


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