samedi 31 août 2013

Manger cru pour des os solides ?

Il y a quelques années, des personnes qui mangent cru depuis longtemps m’ont rapporté être atteintes d’ostéopénie, ce qui correspond à un état précurseur de l’ostéoporose, une maladie fréquente chez les femmes ménopausées, rare chez les hommes. Intrigué par ces témoignages, j’ai évoqué ce point avec mon médecin traitant qui m’a prescrit une ostéodensitométrie, laquelle a effectivement révélé une ostéopénie. Un an plus tard, un nouvel examen a montré une stabilisation, voire une légère amélioration pour certaines régions du squelette. Faut-il s’inquiéter d’un tel diagnostic ? Un mode d’alimentation crudivore peut-il en être la cause ? Les études scientifiques s’intéressant l’alimentation crue sont assez rares. En voici justement une qui traite précisément de ce sujet.

Cette étude, menée en 2005 à l’Université Washington de Saint-Louis dans le Missouri aux Etats-Unis, porte sur 18 volontaires, 11 hommes et 7 femmes pratiquant un régime cru végétarien strict depuis plusieurs années (en moyenne 3,6 ans). Un groupe témoin composé de personnes de même âge et sexe, pratiquant le régime alimentaire américain standard (American Standard Diet) a été constitué pour comparer les résultats. Les auteurs ont mesuré la composition minérale et la densité osseuse de ces personnes, ainsi que leur potentiel de renouvellement osseux. Les résultats sont à priori inquiétants puisqu’ils mettent en évidence une baisse significative de la masse osseuse chez les personnes qui mangent cru. Alors que le T-score est normal chez les personnes du groupe témoin, il révèle une nette ostéopénie chez les personnes qui mangent cru. Quelques explications supplémentaires sont nécessaires. D’abord qu’est-ce que c’est que le T-score ? Ce n’est rien d’autre que la différence entre la densité osseuse chez un individu et la moyenne dans une population de référence d’adultes âgés de 30 à 40 ans. Bien que le T-score soit couramment utilisé pour diagnostiquer l’ostéoporose, la pertinence de cet indicateur statistique n’est pas évidente. Par exemple, citant la revue Prescrire, la fiche Wikipédia consacrée à l’ostéodensitométrie précise : « la majorité des fractures (95 %) survenant entre 50 et 60 ans touchent des femmes dont l'ostéodensitométrie n'a pas révélé d'ostéoporose ». D’autres études comme celle de Schwartz « Diabetes mellitus: does it affect bone? » montrent que les fractures sont fréquentes chez les diabétiques de type 2 alors que leur masse osseuse est élevée. Par ailleurs, les auteurs de l’étude rappellent qu’il existe une corrélation bien documenté entre masse corporelle et masse osseuse. Un indice de masse corporelle (IMC) faible étant associé à une masse osseuse faible. Or l’IMC est nettement plus bas chez les personnes qui mangent cru que dans le groupe témoin. Comme le rappelle la fiche Wikipédia sur l’ostéoporose, même si, instinctivement, on peut penser que des os plus denses sont plus solides, ni l’observation clinique, ni les études scientifiques menées sur ce sujet ne confirment ce genre de relation. La masse osseuse varie selon les personnes sans que cela induise nécessairement des différences significatives quant au risque de fracture.

La vraie surprise de cette étude vient de la mesure des marqueurs de renouvellement osseux (C-télopeptide collagène de type I et phosphatases alcalines osseuses). Ils sont identiques pour les deux groupes. Au vu de ces résultats les auteurs affirment : « Cette découverte apporte la preuve que les crudivores sont dans un état stable à l'égard de leur renouvellement osseux » Citant l’étude de Schwartz qui montre qu’une masse osseuse importante ne suffit pas à faire des os solides, les auteurs ajoutent : « Bien qu’une faible masse osseuse soit un facteur de risque de fracture, la qualité de l’os joue aussi un rôle. Il est donc possible que la faible masse osseuse des crudivores n’ait pas d’incidence sur la survenue de fractures en raison de la qualité des os. De toute évidence, il serait nécessaire de suivre un grand nombre de crudivores pendant une longue période pour déterminer s’ils présentent un risque accru de fractures ».

La moins bonne résilience des os chez les diabétiques s’expliquerait, selon les auteurs de ces différentes études, par une dégradation de la tenue mécanique des os due à des concentrations d’AGE (dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ici ) dans le collagène des os, ainsi que par des modifications oxydatives et inflammatoires affectant notamment la production d’interleukine 6 qui joue un rôle important dans la reconstruction osseuse. Là encore les auteurs de l’étude notent que les marqueurs d’inflammation systémique sont nettement moins élevés chez les personnes qui mangent cru que dans le groupe témoin.

Ce n’est pas tout. Selon la fiche Wikipédia sur l’ostéoporose, les moyens les plus efficaces pour prévenir la perte osseuse ne sont pas ceux qu’on nous vante habituellement. Ni les supplémentations en calcium ou en vitamine D, ni les produits laitiers n’ont fait la preuve de leur efficacité. En revanche il est bien établi par de nombreuses études, d’une part que le sport stimule la densification des os et d’autre part que la consommation de fruits et légumes améliore les indices de santé des os, notamment chez les personnes âgées (voir références ci-dessous). Le sport et la consommation de fruits et de légumes sont les deux seuls moyens efficaces de prévention de l’ostéoporose qui font consensus dans la communauté scientifique. Certaines de ces études signalent aussi que les personnes qui mangent beaucoup de fruits et de légumes ont une faible masse osseuse, ce que les chercheurs attribuent généralement à un IMC lui aussi faible. Quand à savoir pourquoi les fruits et légumes ont un effet protecteur, sur ce point les avis divergent. Certaines études mettent en avant le fait que les fruits et légumes alcalinisent le sang tandis que les protéines animales l’acidifie mais cette hypothèse n’est pas totalement satisfaisante. Le rôle des micronutriments, vitamines et oligoéléments, ainsi que l’abondance d’antioxydants dans les fruits notamment semble avoir une importance déterminante.

Ce qui ressort de tout cela, c’est qu’un diagnostic d’ostéopénie ne traduit pas obligatoirement une dégradation osseuse qui va évoluer vers une ostéoporose pouvant entraîner des fractures. Tout dépend des individus. Chez une personne au régime alimentaire américain standard, un tel diagnostic est sans doute préoccupant. En revanche chez une personne ayant un IMC faible et dont le régime alimentaire est majoritairement composé de fruits et de légumes, il est plutôt normal. Il suffit pour s’en assurer de surveiller l’évolution de la masse osseuse par des ostéodensitométries régulières.



Low Bone Mass in Subjects on a Long-term Raw Vegetarian Diet

Diabetes Mellitus: Does it Affect Bone?

L'activité physique, nécessaire à la santé des os

Manger cru : La solution anti-AGE

Fruit and vegetables: the unexpected natural answer to the question of osteoporosis prevention?

Osteoporosis prevention and nutrition

D’autres références scientifiques sur cette page : Des légumes et des fruits pour des os solides

Fiche Wikipédia sur l’ostéoporose

Fruits et prévention de l’ostéoporose